Le climat à la fin du mois
LE CLIMAT APRÈS LA FIN DU MOIS
Christian Gollier, Presses Universitaires de France, 2019
« L’opinion publique a été bercée de l’illusion aujourd’hui hautement inflammable d’une transition écologique merveilleuse, qui créerait emplois et richesses pour tous, tout en redonnant à la nature son lustre d’antan. Cette caverne d’Ali Baba n’existe pas ».
Au contraire, quoi que l’on fasse, la lutte pour le climat va impacter le pouvoir d’achat. C’est ce qui a motivé la réaction des Gilets Jaunes à l’automne 2018 qui ont réagi à une augmentation prévue pour 2019 de la taxe carbone - qui correspondait pourtant à une loi votée en 2014 sans susciter de réaction particulière à l’époque.
Economiste du climat de la Toulouse School of Economics, Christian Gollier veut à travers cet ouvrage déconstruire l’idée d’une « transition énergétique heureuse » qui se fasse sans sacrifice financier sur le pouvoir d’achat et défendre l’idée que, pour éviter le pire du point de vue climatique, il est indispensable de mettre en place un signal-prix : « Imposer un prix unique du carbone, c’est à la fois une simple application du principe pollueur payeur et la façon la moins coûteuse d’atteindre l’objectif climatique collectivement fixé ».
Ce prix du carbone unique doit s’appliquer sans exception à toutes les activités (Cf la multiplication des exceptions actuelles, dont par exemple l’aviation). De plus, il doit être assorti de compensations aux ménages les plus vulnérables à la hausse du prix de l’énergie. Et, le cas échéant, des taxes douanières pour éviter les fuites de carbone vers les pays qui souhaiteraient jouer les passagers clandestins.
La première caractéristique du livre de Christian Gollier, c’est d’être très pédagogique pour un non économiste. On y trouve une description très détaillée et illustrée de ce qu’est le principe pollueur payeur, initié par les travaux d’Arthur Pigou pour prendre en compte les externalités. Arthur Pigou cherchait à l’époque une solution à la pollution industrielle qui créait de fortes nuisances pour la population londonienne. Le chapitre « En ferions-nous trop pour les générations ? » permet de comprendre toutes les subtilités du taux d’actualisation - « le prix du temps » - et de découvrir les différentes hypothèses qui sous-tendent le choix d’un taux d’actualisation. On comprend pourquoi la majorité des économistes du climat sont d’accord pour fixer le prix de la tonne de carbone autour de 50 euros, mais aussi pourquoi certains font le choix de prix beaucoup plus faibles (le gouvernement américain en particulier) ou plus forts.
La deuxième caractéristique de cet essai, c’est de mettre en évidence la difficulté de concilier les enjeux du court terme et du long terme « Les Français sont-ils prêts à sacrifier un peu de leur bien-être aujourd’hui pour améliorer beaucoup le bien-être d’autrui, même si cet autrui n’est essentiellement pas français, et qu’il n’est probablement même pas encore né ? »
Cela conduit à une forme de schizophrénie qui semble gagner le citoyen: il peut, comme en France, signer une pétition « Affaire du siècle » accusant l’Etat d’inaction face au changement climatique et le trainer devant les tribunaux, dans le même temps manifester contre la fiscalité écologique au nom de la préservation du pouvoir d’achat.
On voit aussi clairement apparaitre les comportements des différents pays dans le jeu climatique, dont certains ont bien intégré que la stratégie optimale, c’est de ne rien faire, jouer le passager clandestin et espérer que les autres feront quelques efforts à leur place « ce qui fait que les Français réalisent que l’essentiel de leurs efforts ne bénéficiera pas aux français, mais au reste du monde ».
Malheureusement la lutte contre le changement climatique évolue vers, « une guerre d’hommes contre d’autres hommes et de nations contre d’autres nations. »
Un plaidoyer convaincant pour que l’on puise dans la boîte à outils des économistes les moyens de combiner efficacement les mécanismes de marché avec une intervention publique assez simple (une taxe carbone uniforme pour tous), afin que chacun soit naturellement amené à se comporter envers l’environnement en accord avec l’intérêt général. Nous pourrions alors, tout en préservant la création de valeur, aller vers « une décroissance très sélective, visant à mettre chacun face à sa responsabilité propre, pour aligner ses intérêts avec le bien commun. »