QUAND LA CONNERIE ÉCONOMIQUE PREND LE POUVOIR
Depuis de nombreuses années, des voix se sont élevées pour dénoncer l’inconséquence des théories économiques qui guident la plupart des gouvernements en place. On pourra lire à ce sujet l’ouvrage «L’imposture économique» de Steve Keen ou les précédents livres de Jacques Généreux
Dans cet ouvrage, le propos de Jacques Généreux n’est pas de «répéter ici le détail de ce qui a déjà été démontré ailleurs », c’est de donner des pistes de réponse à la question «pourquoi des pays qui ont le savoir, les moyens financiers, les outils administratifs et les institutions démocratiques nécessaires pour mener des politiques et des réformes dans l’intérêt du plus grand nombre demeurent irrémédiablement piégés dans un système dévastateur et dans des politiques qui ne profitent vraiment qu’à une minorité de gagnants ».
Et son hypothèse, c’est que dans la mesure où il y réellement des alternatives, si ce n’est pas de la malveillance des classes les plus riches envers les plus pauvres, alors c’est une «épidémie de bêtise». Et ce qu’il appelle connerie, c’est «l’entêtement permanent dans le déni de la vérité et le refus de tout examen critique des croyances».
Et pour illustrer son propos, plutôt que de prendre le cas de Donald Trump qui est caricatural, il prend «la pensée, le discours et l’action du président Macron comme un véritable cas d’école».
Le chapitre «le moment Macron» analyse l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron pour montrer que l’origine de son pouvoir comme celle de sa pensée et de son action n’ont rien à voir avec un complot d’ultra-riches.
Le chapitre suivant fait un détour par la psychologie sociale, l’économie comportementale et l’anthropologie évolutionniste pour analyser l’ensemble des biais cognitifs auxquels nous sommes tous soumis, y compris les plus intelligents et en particulier nos gouvernants. On y découvre pourquoi «l’emprise de la bêtise est bien plus répandue que celui de la malveillance »
Une fois ces éléments posés, l’auteur analyse «la bêtise révoltante du président Macron » à travers ses discours et relève une «démarche systématique de redresseur de torts bien résolu à dire aux français leurs quatre vérités » comme le fait qu’il suffit de se bouger et «traverser la rue » pour trouver un boulot. Sa certitude de détenir la vérité, le conduit parfois à des prises de position illogiques. « Si donc un esprit brillant formule une argumentation manifestement illogique pour un observateur extérieur en quête de vérité, c’est peut-être parce que son propos devient logique d’un autre point de vue, dans le cadre de postulats biaisés qui bornent sa raison ».
Et parmi les postulats biaisés, il y a les postulats économiques qui guident son action, «une théorie économique déconnante et néanmoins dominante » qui fait l’objet du chapitre suivant ou l’auteur nous partage les grands éléments de décalage entre cette théorie et la réalité .
«Dans l’esprit du dirigeant s’installe une sérieuse dissonance cognitive : d’un côté son modèle lui dit qu’il n’y a pas de souci et qu’il faut laisser faire les gens et les marchés concurrentiels ; de l’autre , la réalité lui montre qu’il y a un vrai problème et que les gens attendent qu’il intervienne pour le régler ». Persuadé par sa formation de la vérité de ses théories, le dirigeant doit alors « inventer un récit justificatif, raconter des histoires et s’enliser forcément dans une succession de sophismes, puisqu’une théorie farfelue ne risque pas de fonder des politiques sensées ».
Un essai à charge ou l’auteur ne mâche pas ses mots et qui a le mérite de nous rappeler les dégâts du règne de la compétition économique à tous les étages de la société instituée par la pensée néolibérale. «La compétition généralisée et permanente comme l’angoisse du déclassement répandent la stupidité parce qu’elles saturent le temps et l’énergie psychique, parce qu’elles nourissent le stress et la peur, parce qu’elles réduisent à néant le souci du vrai et anesthésient l’esprit critique ».
En conclusion, il en appelle à «sortir du piège de la fausse démocratie » et reconstruire des formes de démocratie faisant appel à l’intelligence collective et qui ne soient pas polluées par quelque autre enjeu (pouvoir, honneurs, fortune) de la fausse démocratie »
Jacques Généreux, Editions du seuil, 2021