QUAND LA FORÊT BRÛLE - Penser la nouvelle catastrophe écologique
QUAND LA FORÊT BRULE
Penser la nouvelle catastrophe écologique
Joëlle ZASK, Editions Premier Parallèle, 2019
Écrit en 2019, le livre de Joëlle Zask est encore plus « brûlant » d’actualité en cette année 2023 qui a vu (entre autres) les « méga-feux » du Canada détruire plus de 10 millions d’hectares de forêt.
Joëlle Zask n’est pas une experte technique des feux : c’est une philosophe et l’objectif de son ouvrage est de prendre du recul et de réfléchir à ce que nous disent ces « méga-feux » qui se multiplient sur notre relation à la nature. Il s’agit de « recourir au phénomène du méga-feu comme à un poste d’observation et à un accélérateur d’opinion en faveur d’une action commune pour la sauvegarde, non de la terre qui nous survivra, mais des conditions d’existence humaine. »
Car ces feux devenus incontrôlables donnent un sentiment de fin du monde. « Comment Dieu peut-il emporter une ville qui s’appelle Paradis » se demande un témoin du méga-feu Camp Fire de 2018 qui a détruit la ville de Paradise en Californie, tuant 88 personnes, détruisant 20 000 maisons et forçant l’évacuation 250 000 personnes.
Ces mégafeux nous renvoient à notre responsabilité. Nous croyons pouvoir maîtriser la nature et pourtant « Pourquoi à l’âge de la technologie la plus avancée, de l’aménagement rationnellement planifié, de la surveillance tous azimuts, n’a-t-on pas pu ni prévenir ni juguler l’incendie ? ». Les raisons sont multiples et bien décrites par l’auteur : il y a le changement climatique bien sûr, avec des températures plus élevées et des sècheresses plus fortes. Il y a aussi la vision extractiviste de l’humain par rapport à la nature qui conduit à des forêts de monocultures beaucoup plus sensibles aux feux. Il y a l’échec des politiques d’aménagement qui conduisent à des « maisons dans les bois beaucoup plus à risque ». Et il y l’intervention de l’homme dans les départs de feu. Près de 90% des
départs de feux sont d’origine humaine, beaucoup accidentels (mégots, pétards), mais 30% d’origine criminelle voire d’origine terroriste, le « pyro- terrorisme ».
Il y a donc une combinaison d’actions humaines dans cette situation inédite que sont les méga-feux « Les individus qui déclenchent sciemment les méga-feux sont des criminels, voire des meurtriers. Mais les industriels, les pouvoirs qui les protègent, les exploiteurs de la nature, les plus ou moins gros pollueurs, qui favorisent indirectement leur intensification, le sont aussi ».
Et ce sont les humains qui sont victimes car à « l’échelle de l’existence des individus et des sociétés, le feu est une catastrophe ». Sur le moment, c’est la destruction d’habitations et de vies humaines et animales (« il pleuvait des oiseaux »). Et à plus long terme, c’est la disparition définitive de paysages qui conduisent à l’impression d’un « monde sans futur ».
Un discours classique qui rassure ceux qui n’ont pas été soumis à un feu, c’est que la nature a besoin des feux. Ce discours se combine avec celui des « préservationnistes » qui souhaitent laisser faire la nature. S’élevant en faux par rapport à ce discours, Joëlle Zask nous montre bien que l’humain est intervenu de tout temps sur la nature, en utilisant le feu à bon escient. La philosophie aborigène du « cleaning country » désigne « l’ensemble des pratiques situées à mi-chemin entre l’entretien du pays et la satisfaction des besoins humains, dont font partie les brulages qui « ramènent la terre à la vie » ».
En conclusion, l’auteur nous propose de « remettre en cause les croyances qui irriguent la pensée occidentale : l’idéologie qui voudrait soumettre la nature, la dominer, mais également le préservationnisme - c’est-à-dire l’idée selon laquelle les équilibres naturels et la présence humaine sont incompatibles, que la nature fait bien les choses, qu’il faut s’en retirer, la protéger en la sanctuarisant et en la mettant sous cloche. Au contraire, je pense qu’il faut prôner une sorte de coopération et de partenariat, développer un modèle de soin de la forêt où cette dernière ne serait pas uniquement vue sous l’angle de l’extractivisme »
Autrement dit « Habiter la terre, ce n’est pas se l’approprier, s’en emparer, l’exploiter, mais y passer d’un pied léger et en prendre soin ». Des chapitres courts combinant données factuelles et prise de recul philosophique rendent cet ouvrage très accessible.