Têtes chercheuses #5
Portrait de Benjamin Tyl
Ingénieur de recherche à l’APESA en éco-innovation
Chercheur associé à l’Institut de Mécanique et d’Ingénierie, CNRS UMR 5295, Université de Bordeaux
Docteur en ingénierie mécanique de l’Université Bordeaux 1 (2011)
Ingénieur INSA Lyon (2007)
"Mes recherches portent sur l’accompagnement des organisations pour qu’elles intègrent des dimensions environnementales et sociales dans leur processus d’innovation. Pour simplifier, on parlera d’éco-innovation."
Mettre à la disposition des organisations des outils issues de réflexion éco-innovante pour les tester sur le terrain et définir leurs forces/faiblesses afin d'apporter une continuelle évolution à l'éco-conception.
Quels sont vos sujets d’exploration ?
Pour être très générique, mon objectif est de comprendre le produit et les acteurs impliqués dans le processus de conception et de production, en allant le plus en amont et aval possible, c’est-à-dire en tenant compte de la ressource jusqu’à la question du réusage, du réemploi et de la réparation. Cela nécessite d’anticiper les scénarios possibles de fin de vie et de se poser la question du territoire (par exemple l’intérêt ou non d’utiliser une ressource territoriale, l’existence ou non sur le territoire d’infrastructures permettant de développer la réparation par exemple…).
Ainsi, plus spécifiquement, mes recherches portent sur l’accompagnement des organisations (entreprises, ONG, acteurs publics) pour qu’elles intègrent des dimensions environnementales et sociales dans leur processus d’innovation (pour simplifier, on parlera d’éco-innovation). Cet accompagnement s’effectue depuis la génération des idées jusqu’au développement de modèles économiques et sociaux. Pour cela, j’ai effectué ma thèse à l’APESA en ingénierie mécanique, (accompagné par l’ESTIA et le laboratoire IMS / Université de Bordeaux), sur le développement d’un outil de créativité permettant de générer des idées à forts potentiels environnementaux et sociaux. Depuis, nous avons accueilli une deuxième thèse (en ingénierie cognitique) portant sur la maturation des idées éco-innovantes. Nous sommes aujourd’hui coordinateur du projet de recherche ALIENNOR, financé par l’ANR, qui nous a permis de développer une méthodologie robuste et systémique à l’éco-innovation.
Mais au-delà de cette thématique « historique » de recherche, et à la suite de rencontres de porteurs d’initiatives dans le Pays Basque, j’ai souhaité focaliser mes travaux sur les enjeux de la réparation et du réemploi, extrêmement prometteurs mais encore largement sous-estimés dans le milieu académique : comment intégrer les enjeux de la réparation dans les processus de conception ? Comment favoriser la collaboration multi acteurs ? Quels sont les modèles économiques soutenables pour les recycleries/ressourceries ? Telles sont les questions que nous souhaitons étudier. Dans cette perspective, nous avons développé un réseau de partenaires français et européens et nous sommes impliqués dans le projet de recherche RECYLUSE qui vise à définir les modalités de mise en place de réseaux territoriaux de réparation, notamment dans le Pays Basque.
Enfin, je travaille à la marge sur des nouvelles méthodes alternatives à l’ingénierie produit/services qui s’intègrent dans des logiques de post-croissance. Nous nous attachons par exemple à prendre en compte le cadre théorique proposé par Ivan Illich sur la convivialité et à l’intégrer dans les processus de conception produit. Sur du plus long terme, cela nous permettra d’envisager un perfectionnement de nos outils et méthode d’animation.
Quelles sont les applications du cadre de recherche aux attentes des acteurs sur le terrain ?
L’éco-innovation est une thématique dont on parle de plus en plus mais encore trop peu appliquée. Les acteurs sur le terrain sont à la recherche de démarches simples et rapidement intégrables dans leur processus de conception. C’est ce que nous nous efforçons à développer : des méthodologies et outils simples, flexibles et parfaitement adaptables pour les entreprises (nous parlons de micro-outils) et qui pourtant permettent d’explorer efficacement le « champs des possibles » en éco-innovation : depuis une réflexion autour des usages, des services, du territoire, etc.
Nous avons notamment collaboré avec une équipe de designers (Big Bang Project) dans le cadre d’un projet R&D pour améliorer la prise en main et l’usage de nos outils d’éco-innovation. Ainsi nous avons développé une boite à outils ergonomique et « conviviale », sous forme de jeux de plateau.
A travers nos réseaux, nous cherchons par ailleurs toujours à tester nos outils sur le terrain, vers un public d’étudiants, d’académiques français mais aussi européens, et enfin d’entreprises. Nous avons ainsi des retours réguliers sur les forces mais aussi les faiblesses des outils.
Enfin, à l’APESA, nous avons l’opportunité d’être fortement impliqués avec les acteurs du territoire (notamment au Pays Basque en ce qui me concerne). Nous sommes concrètement confrontés aux problématiques issues du terrain, notamment face aux porteurs d’initiatives locales et citoyennes.
Par exemple, le projet RECYLUSE sur le développement de réseaux territoriaux de réparations est directement issu de problématiques identifiées de par notre intégration dans le tissu local (difficulté de développer un modèle économique soutenable, difficulté des entreprises d’intégrer des contraintes de réparation dans les processus de conception, …).
Quel(s) sont les transfert(s)/projets amorcé(s) ?
Nous avons déjà amorcé plusieurs transferts de nos projets de recherche vers les acteurs du territoire.
- Certains outils que nous avons développés ou explorés (c’est-à-dire découverts et analysés dans la littérature scientifique) sont d’ores et déjà intégrés dans des prestations auprès des entreprises. Par exemple, dans le cadre d’accompagnement à l’éco-conception, nous proposons des séances de créativité avec des outils d’éco-innovation développés dans nos recherches (par exemple l’outil MID pour générer des idées éco-innovantes) ou des outils qui ont été identifiés dans le cadre de nos travaux (par exemple l’outil Value Mapping tool développé notamment par Nancy Bocken pour cartographier la valeur par parties prenantes).
- Nous commercialisons une première prestation, pour l’agencement d’un bâtiment autour des principes d’économie circulaire et de qualité de vie au travail, directement issue des résultats du projet de recherche ALIENNOR.
Nous pouvons donc désormais proposer un panel d’outils complet aux entreprises et acteurs publics depuis les phases amont de projets (générations d’idées) au développement de modèles économiques soutenables.
Nous sommes également toujours impliqués dans plusieurs projets R&D dont:
- Le projet ALIENNOR (2016-2019, financement ANR) dont le but est de développer une méthode systémique d'éco-innovation. et comprenant notamment une boîte à outils contenant un nombre limité et opérationnel de mécanismes de stimulations de l’éco-idéation (pour une exploration efficace de toutes les possibilités de conception) et une boîte à outils d'évaluation de la soutenabilité favorisant le choix des concepts les plus prometteurs, en terme de potentiel de valeur économique, sociétale et de réduction d’impact environnemental.
- Le projet Recyluse (2018-2020, financement ADEME) dont le but est de favoriser la transition écologique, économique et sociale par la promotion de la réparation et de la réutilisation. Nous cherchons notamment à analyser les résistances et difficultés identifiées vis-à-vis des pratiques de réemploi et de réparation, mais également à identifier des modalités de conception adaptées à la réparation des produits, à travers l’organisation de living lab sur la réparation. Nous travaillons pour cela sur deux territoires : l’agglomération Pays Basque et la communauté de communes Cœur de Savoie.
- Le projet européen Retrace (Interreg C, 2016-2020) qui cherche à appliquer l’approche « Systemic design » pour favoriser le déploiement de politiques publiques ambitieuses en terme d’économie circulaire axé autour des initiatives locales.
- Le projet Auzoener (Région Nouvelle Aquitaine, 2018-2020) qui interroge la citoyenneté des coopératives énergétiques.