THERMODYNAMIQUE DE L’ÉVOLUTION Un essai de thermo- bio- sociologie,
François Roddier, Editions parole, 2012
Dans « Le phénomène humain », publié en 1955, Pierre Teilhard de Chardin écrivait « La vraie physique est celle qui parviendra quelque jour, à intégrer l’Homme total dans une représentation cohérente du monde ».
L’ouvrage de François Roddier est une avancée très claire dans ce sens : « Mon but est de montrer que les résultats déjà obtenus - dans le domaine de la physique et plus particulièrement la thermodynamique - ouvrent de larges perspectives, non seulement en biologie, mais aussi en sciences humaines ». Très concrètement l’ouvrage est organisé pour montrer que « sous des aspects différents, on retrouve les mêmes processus aussi bien en physique qu’en biologie ou en sociologie » .
Faire le lien entre physique et biologie ne parait pas choquant. Par contre l’extrapolation des lois de la physique au comportement humain peut paraitre audacieux. « L’idée que notre comportement peut suivre des lois heurte notre sentiment de libre arbitre. Réduire l’homme aux lois de la physique semble être une approche terriblement matérialiste. Elle parait occulter la spiritualité de l’Homme qu’on ressent comme essentielle »
En fait, ce que nous explique François Roddier, c’est que de génétique, l’évolution de l’Homme est devenue progressivement culturelle, la culture étant définie comme l’ensemble des informations mémorisées dans le cerveau « Autrement dit, on ne peut appliquer les lois de la biologie à l’Homme qu’en remplaçant les gènes par la culture ».
A partir de ces prémisses, l’auteur déroule sa démonstration avec la rigueur du scientifique (astrophysicien) qu’il est, mais avec aussi beaucoup de pédagogie pour expliquer des concepts un peu ardus. La première partie de l’ouvrage est consacrée à la thermodynamique et ses développements récents (les structures dissipatives de Prigogine, la troisième loi de la thermodynamique « les structures dissipatives s’auto-organisent de façon à maximiser le flux d’énergie qui les
traversent », la mécanique statistique, la relation entre entropie et information, la notion d’auto-organisation en physique ….).
En résumé, « La vie s’auto- organise en formant des structures vivantes de plus en plus complexes, capables de mémoriser de plus en plus d’informations de façon à dissiper toujours plus d’énergie »
La seconde partie est consacrée à l’évolution génétique en faisant le lien avec les aspects thermodynamique : la sélection de Darwin comme conséquence des lois de la thermodynamique, La criticalité auto- organisée en biologie –« en favorisant les organismes qui s’adaptent plus vite que les autres, la sélection naturelle accélère l’évolution provoquant des extinctions de masse », la coopération en biologie , un panorama de l’évolution génétique ( procaryotes, bactéries, eucaryotes, organismes multi cellulaires..).
La troisième partie est consacrée au passage des gènes à la culture : L’émergence de l’intelligence « le développement de l’intelligence apparait comme une conséquence des lois de la thermodynamique », l’émergence de la culture « la transmission d’informations culturelles vient à l’appui de l’évolution génétique et réciproquement » , « des primates à l’homme, la quantité d’informations transmises culturellement ne cesse de croitre au point d’excéder chez l’homme celle transmise génétiquement »
Dans la quatrième partie, l’auteur applique l’ensemble des concepts présentés dans les parties précédentes à l’évolution culturelle de l’humain (l’auto organisation des sociétés humaines, thermodynamique et sciences sociales,). Toujours s’appuyant sur les lois de la thermodynamique, il analyse la situation actuelle (la fin de la croissance, vers un effondrement – « nos démocraties libérales pourraient s’éteindre faute de pétrole ») et donne des perspectives pour l’avenir de l’humanité (l’effondrement, la restructuration, l’humanité future ) « un cerveau planétaire s’est formé. En s’éveillant, ce cerveau réalise que c’est maintenant son rôle de maintenir un environnement adapté à la vie. C’est nécessaire pour sa survie ».
Arrivé à la fin de l’ouvrage, on peut se poser la question posée à l’auteur par un jeune philosophe «Tu proposes tout simplement en une ou deux centaines de page d’expliquer toutes les causes de tout, partout, et tout le temps » Et Francois Roddier lui répond : «expliquer », c’est beaucoup dire. Mais affirmer qu’il existe une loi simple et suffisamment générale pour nous permettre de comprendre l’évolution du monde, oui, je le crois. Cela peut surprendre les philosophes, mais pas les physiciens ».
Laissez-vous surprendre par cet ouvrage assez inclassable